Orignal à l’appel

Texte et photos </br>LOUIS TURBIDE

Texte et photos
LOUIS TURBIDE

Jouer vos cartes stratégiquement

L’orignal est sans contredit le gibier qui soulève le plus les passions chez les chasseurs du Québec. Avec plus de 170 000 adeptes qui se mesurent au roi de nos forêt à chaque année, il n’est pas étonnant de constater un tel engouement et le fait de pouvoir dialoguer avec cet animal est bien entendu la cause de toute cette frénésie! Quand, on a réussi à déjouer un mâle orignal à l’appel, quelle que soit sa grosseur, c’est la piqûre assurée à vie pour ce type de chasse! Au cours des 20 dernières années, les techniques de chasse ont beaucoup évolué. Avant tout se déroulait à partir d’une cache en hauteur, aujourd’hui en plus de cette option, les chasseurs n’hésitent pas à prendre le bois et à aller chercher l’orignal dans ses cachettes les plus profondes en forêt en le provoquant mais cela semble soudainement plus compliqué qu’avant.

Des orignaux moins réceptifs

C’est que depuis quelques saisons plusieurs chasseurs constatent que les orignaux sont moins réceptifs à l’appel et se demandent pourquoi. J’ai ma petite opinion à ce sujet. Selon moi, depuis plusieurs années les chasseurs adoptent quasi la même stratégie en imitant une femelle et un mâle en déplacement tout en faisant du rattling. Si un mâle se manifeste, le chasseur provoque l’orignal en ne faisant que le mâle. Cette technique est excellente mais s’il y a 20 chasseurs dans un secteur donné qui font exactement la même chose jour après jour, il est tout à fait logique de penser que cette technique perd de son efficacité. J’en suis convaincu! Est-ce qu’il peut y avoir d’autres éléments qui font que la chasse est soudainement plus difficile? Probablement et je pense principalement au vieillissement des bûchés qui rend le gibier plus difficile à localiser mais je demeure convaincu que le peu de variantes entre les techniques utilisées par une grande partie des chasseurs d’orignaux y sont pour beaucoup! Juste pour appuyer mes dires, je vais vous expliquer ce qui se passe dans mon secteur de chasse en Mauricie où il y a moins de 2 orignaux par 10 km2 et une très forte pression de chasse. J’y chasse depuis une dizaine d’années et mon groupe a récolté plus de 90% des mâles déjoués sur le call au cours de cette période dans notre secteur sur environ une quinzaine de groupes de chasseurs! Encore l’an dernier, nous avons récolté le seul mâle de notre Zec dans les 20 km les plus au sud de ce territoire. Est-ce un hasard? Non! Est-ce que nous sommes de meilleurs calleurs que les autres chasseurs qui nous entourent! Pas du tout! Est-ce que nous jouons nos cartes différemment de la majorité d’entre eux? Oui! 

Selon l’auteur, il n’y a rien de plus naturel que d’imiter une femelle en chaleur pour tenter de déjouer régulièrement un mâle. De plus, en adoptant cette technique le chasseur agit différemment de la majorité des autres chasseurs de son secteur et cela finit souvent par payer!

Savoir s’adapter

Ce que j’ai appris au fil du temps à chasser l’orignal dans des territoires très giboyeux et maintenant peu peuplés, c’est que nous devons constamment nous adapter et surtout nous devons user de logique! Mettez-vous maintenant dans la peau des orignaux qui du jour au lendemain sont envahis par de faux mâles enragés sur leur territoire. Il faut comprendre que mis à part quelques outsiders qui apparaissent en période de rut, les orignaux de votre secteur se connaissent tous déjà. Ainsi, entendre un nouveau faux mâle péter une crise ça demeure plausible pour eux, quelques-uns ça passe mais quand du jour au lendemain avec les chasseurs qui font tous du rattling ou le mâle, la population de mâles de votre secteur quadruple, ça ne tient plus la route. L’orignal n’est pas stupide et il a su s’adapter rapidement à cette réalité. Une très forte pression de chasse avec des chasseurs utilisant quasi tous la même technique de provocation vient sonner une grosse alarme chez les mâles d’un tel secteur et ces derniers deviennent soudainement et rapidement plus silencieux et méfiant! À cela s’ajoute la contamination d’odeurs laissées sur le terrain par tous ces chasseurs qui se promènent maintenant partout en forêt et le défi de récolter un orignal à l’appel devient soudainement beaucoup plus compliqué. Pour revenir au 90% des mâles qui ont été récoltés par mon groupe dans notre secteur de chasse, savez-vous combien l’ont été en imitant un mâle ou en faisant du rattling? Aucun! Ils ont tous été déjoués en imitant une femelle en chaleur à des stations d’appels déterminées où j’avais été vérifier que mes appels portaient suffisamment loin pour avoir d’excellentes chances d’être entendus par les quelques orignaux de mon secteur. Sur mon territoire est-ce que j’entends d’autres chasseurs imiter simplement une femelle pour tenter de déjouer un mâle! Non! Est-ce que cela me procure un avantage important? Absolument car je ne suis pas en compétition avec aucune autre fausse femelle dans mon secteur! Je suis donc la seule nouvelle femelle de mon secteur et puisque je veux simplement m’accoupler, je ne représente aucunement un danger pour n’importe quel mâle de mon territoire, bien au contraire. Est-ce que c’est normal qu’une nouvelle femelle fasse son apparition dans un territoire? Oui et je ne fais que stimuler l’intérêt des mâles de mon secteur qui voient en moi une conquête possible de plus ou pour un jeune mâle leur potentielle seule chance, les autres femelles qu’il connait étant déjà avec les mâles plus âgés que lui.

Bien entendu, récolter un mâle en imitant une femelle en chaleur peut être d’une facilité déconcertante, un travail de titan ou dans d’autres cas nécessiter des ajustements stratégiques en cours de route. En début de saison vers le 15 septembre alors que peu de femelles émettent des vocalises et que les mâles eux, sont déjà réceptifs, il est très payant d’y aller avec ce type d’appels. Même chose au début octobre alors que plusieurs femelles sont déjà accouplées et que bien des mâles sont à la recherche des dernières femelles réceptives. Entre ces deux périodes, j’ai aussi connu du succès mais il arrivait fréquemment que le mâle qui me répondait me confirmait qu’il était déjà accompagné, ce qui me complexifiait la tâche.

Attention aux odeurs

Quelle que soit la technique utilisée, vérifier fréquemment la direction du vent devrait faire partie de la routine de tout chasseur désireux d’obtenir du succès régulièrement.

Indépendamment des périodes si le mâle est seul, il sera assez facile de l’amener à portée de tir si vous réussissez à conserver son niveau d’excitation identique que lors de sa première réponse. Puisque tout cela se déroule très rapidement, il faut aussi avoir la chance de son côté et espérer que la bête n’arrivera pas par où vous êtes déjà passé et tombe sur votre odeur. Il y a quelques années, j’ai vu de mes yeux un orignal subjugué par mes appels arrêter soudainement de progresser vers moi et sentir où je venais de passer pour par la suite partir en épouvante. C’est spécifiquement pour cette raison que je privilégie les stations d’appels et que mon parcours pour y accéder est décidé en fonction du vent et du parcours anticipé par le mâle que je convoite. Ça ne marche pas à tous les coups mais la moyenne est excellente.

Quelle que soit la technique utilisée, vérifier fréquemment la direction du vent devrait faire partie de la routine de tout chasseur désireux d’obtenir du succès régulièrement.

Pour déjouer un mâle orignal, l’auteur privilégie les stations d’appels déjà planifiées avant la chasse. Ainsi, il peut y accéder à bon vent en empruntant un sentier qui logiquement après une analyse du territoire ne devrait pas être emprunté par l’orignal.

Dans la bulle

Si par contre, le mâle est déjà avec une femelle, il faut que le couple soit suffisamment près de vous pour que vous ayez une chance si minime soit-elle de décider un mâle à quitter sa femelle pour vous! La seule raison qui le pousserait à aller vers vous, c’est que vous sembliez plus réceptif que la vraie femelle déjà à côté de lui. C’est un travail incroyable que j’ai réussi une seule fois dans ma vie et ce, après plus de 30 minutes de plaintes toujours juste un peu plus fortes, plaintives et longues que la vraie femelle. Quel spectacle sonore mon beau-père et mon ami Denis avaient entendu en tant que spectateur cette journée- là!

En pareille situation et après avoir approché suffisamment près du couple en imitant uniquement la femelle, il peut aussi être très payant de faire intervenir un mâle mais en s’adaptant au niveau d’agressivité du mâle. Personnellement, je m’obstine à relever ce défi en tant que femelle jusqu’au bout mais plusieurs bons chasseurs réussissent à récolter leur mâle de cette façon en ne faisant intervenir le mâle dans le scénario que lorsqu’ils sont suffisamment près du couple et dans la bulle du mâle.   

Un récit révélateur

Je vous laisse avec le récit qui explique bien comment utiliser l’appel de la femelle et attirer un mâle seul à portée de tir avec d’autres petits détails tout aussi importants pour obtenir du succès.  Vous pouvez aussi visionner la vidéo de cette récolte dans cet article!

L’auteur avec l’orignal de 45 pouces d’envergure de panache dont il est question dans cet article.

25 septembre, il est 16h00 et je suis déjà rendu à l’endroit que j’ai choisi pour ma chasse du soir. Je vérifie la température sur mon GPS, il fait 14 degrés Celsius et il vente encore un peu trop à mon goût. Puisque le vent diminue tout de même tranquillement et que la température est en descendant, je décide de patienter encore avant d’émettre mes premiers appels. D’expérience, je sais qu’il est préférable d’attendre le bon moment avant de débuter à caller. Pour moi, le vent doit avoir diminuer de beaucoup en intensité et la température doit être de 12 degrés Celsius ou moins. Bien entendu, si le vent ne semble pas vouloir tomber, je tenterai des appels entre deux bourrasques au lieu de ne rien faire mais ce n’est pas le cas ce soir et ce n’est pas une demi-heure d’attente qui diminuera mes chances de succès.

Vers 16h30, les conditions climatiques que j’attendais sont réunies et je peux débuter. Je lance quelques appels langoureux mais je me rends rapidement compte qu’à l’endroit où je suis, le call ne porte pas suffisamment. Je décide donc de me déplacer d’environ 100 mètres et d’essayer à nouveau.  Wow, de cet endroit la magie opère et c’est avec beaucoup de confiance que je courtise les mâles de mon secteur.

L’auteur qui chasse dans un secteur à très faible densité n’hésite pas à changer d’endroit ou à grimper sur des obstacles en forêt pour augmenter ses chances d’être entendu lorsqu’il lance ses appels.

Soudainement après à peine 5 minutes, j’entends une timide réponse au loin. J’attends alors une deuxième réponse pour confirmer que je n’ai pas rêvé.  C’est bel et bien un buck qui s’en vient vers moi et il progresse rapidement dans ma direction. Tant qu’il me répond je ne fais rien et je suis attentivement sa progression. Il faut comprendre que tant qu’un mâle vous répond et se dirige vers vous, il est préférable de demeurer muet pour éviter de faire une erreur. Après avoir parcouru une bonne distance, le mâle s’arrête soudainement. Je n’attends alors pas plus de 5 secondes et je lance une plainte dans sa direction. Il ne lui en faut pas plus pour qu’il recommence à me répondre et se diriger vers moi. Lorsque le mâle s’est arrêté, il voulait simplement que la femelle confirme sa position avant de recommencer à avancer vers elle. En pareille situation, il est capital de lui répondre en quelques secondes lorsqu’il a cessé d’avancer vers vous car vous empêchez ainsi le mâle de se servir de tous ses autres sens et d’analyser la situation. Je vous dirais que c’est l’erreur la plus commune qui est commise par les chasseurs. Quand vous hésitez, l’orignal commence à douter et ses décisions ne sont plus dictées que par son taux de testostérone élevé mais aussi par son instinct de survie. Il met alors tous ses sens en éveil, va chercher assurément son vent et écoutera les moindres bruits suspects ce qui n’est pas nécessairement le cas si vous réussissez à le faire venir en maintenant son taux d’excitation au maximum. Pour revenir à mon orignal, celui-ci a fait deux autres arrêts du genre avant que je puisse l’apercevoir. Chassant à l’arbalète, je l’ai vu apparaître droit devant moi à peine à 30 mètres mais rien n’était pourtant encore gagné. Il me restait un autre petit stratagème à exécuter avant d’avoir une chance de le récolter.  Je dirigeai alors un faible appel vers ma gauche pour lui faire croire que j’étais un peu plus loin encore et par le fait même pour le faire passer parallèlement à moi. La stratégie a fonctionné et le mâle de 45 pouces de panache m’a alors offert à découvert sa zone vitale. Ma flèche a alors traversé les deux poumons et la bête a été retrouvée à moins de 100 mètres de l’endroit du tir. Ce qui est impressionnant dans ce récit c’est qu’il s’est écoulé moins de cinq minutes entre la première réponse et le tir. En agissant comme je l’ai fait, j’ai empêché ce mâle de penser et j’ai pu le diriger exactement où je voulais. Je vous en souhaite autant!

En terminant

Déjouer un orignal en imitant une femelle en chaleur peut sembler plus difficile qu’avec le scénario mâle/femelle mais il n’en n’est rien. De plus, je vous dirais que le taux de réussite est beaucoup plus élevé et qu’ainsi, vous adoptez une stratégie plus naturelle pour l’orignal. Cet automne, faites-vous confiance et agissez différemment de vos voisins! Vous m’en redonnerez des nouvelles! Bonne chasse!

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