ORIGNAL

Par </br>MARCO CHABOT

Par
MARCO CHABOT

Site internet | chasseurdenature.com

Facebook | chasseur.de.nature

5

meilleurs moments pour garder le silence

DEUXIÈME PARTIE

MARK RAYCROFT

L’imitation de l’appel de l’orignal est un art en soi. La difficulté d’imiter parfaitement le langage amoureux du roi de nos forêts représente un immense défi pour plusieurs chasseurs. C’est pourquoi l’achat d’appeaux électroniques, jumelé à un assouplissement du règlement permettant son utilisation, est devenue aussi populaire. Néanmoins, tel qu’expliqué dans la première partie de cet article publié au mois d’août, l’orignal a changé de comportements dans les dernières années. En effet, l’orignal s’adapte davantage à la pression de chasse, à la réduction du cheptel dans certains secteurs, au déséquilibre significatif du ratio mâle/femelle dans plusieurs régions, aux appels incessants des chasseurs et aux journées chaudes d’automne. L’orignal s’adapte et « s’éduque » comme on dit afin de se méfier des humains qui le pourchassent et l’appellent. Par conséquent, il semble avoir un consensus que Alces alces est plus méfiant et moins réceptif qu’auparavant.

Ceci dit, bien que le réalisme des imitations de l’appel de l’orignal soit un excellent outil dans l’arsenal de chasseur, j’explique dans cet article les vertus, croyez-le ou non, du silence. Dans la première partie de cet article, j’ai démontré comment intégrer le silence dans deux contextes de chasse afin d’augmenter le réalisme de vos appels et ainsi espérer leurrer les orignaux qui sont de moins en moins réceptifs. Dans cette seconde partie, j’élaborerai sur mes expériences vécues pour vous suggérer trois autres moments opportuns pour garder le silence.

Après une séance d’appels un moment de silence

Je me souviendrai toujours de la fois, où j’avais laissé mon chasseur à côté de son orignal qu’il venait d’abattre pour aller chercher ses copains. C’était en fin de journée. J’avais effectué une séance d’appels en imitant un couple d’orignaux dans des ébats langoureux.  Un mâle respectable s’était posté à 15 m (50 pi) du chasseur. Le chasseur a tiré un coup mortel mais une fois l’animal affaissé, j’ai suggéré au chasseur de tirer un second coup pour abréger les souffrances de la bête. Ensuite, je lui ai demandé s’il souhaitait demeurer sur place ou m’accompagner pour aller chercher ses copains, récupérer le VTT et pour se dégager un sentier jusqu’à l’endroit où nous étions. Il avait préféré demeurer sur place pour savourer le moment présent en compagnie de la récolte qui gisait à ses pieds et qui allait le nourrir pour les mois à venir. Cela a pris un bon 90 minutes avant que je revienne avec son équipe et le VTT. C’est alors qu’il m’a raconté que, 20 minutes après l’avoir laissé, alors qu’il admirait silencieusement son trophée, qu’un second mâle s’est présenté exactement où j’avais réalisé ma séance d’appel.

Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Depuis quelques années, surtout le matin, j’aime bien reproduire une séance d’appel, à partir d’une position fixe sur le terrain, suivi d’une période de silence. La séquence que je recommande est la suivante : 1 heure d’appel de femelle aux 12 à 15 minutes, suivi de 30 minutes de sons de mâle aux 5 minutes environ jumelées à un peu de « rattling », puis couronner le tout par une heure d’attente en silence. Ce n’est pas rare que l’orignal se présente pendant la période de silence. Les orignaux ont chacun leur propre personnalité et chacun a aussi vécu ses propres expériences périlleuses dans les années antérieures (voir mêmes dans les journées précédentes). Ce qui fait en sorte que certains orignaux assouvissent leur curiosité seulement au moment où la tranquillité revient. Le silence les rassure suffisamment pour les convaincre de venir renifler les odeurs et voir ce qui se passe ou ce qui s’est passé à l’endroit où il y avait des sons d’orignaux. Cette routine d’appels peut aussi très bien se faire à deux chasseurs. Le meilleur « calleur » du groupe fait sa séance d’appel. Ensuite il quitte le lieu sur la pointe des pieds et le second chasseur patiente silencieusement, attendant l’orignal méfiant qui serait tenté de combler sa timide curiosité.

LOUIS TURBIDE

Après une séance d’appel il est important de demeurer sur place en silence au moins une heure. Il n’est pas rare qu’on ait la surprise de voir apparaître un orignal venant assouvir sa curiosité pendant ce moment de tranquillité.

Silence… Une réponse de mâle

J’ai remarqué une autre tendance depuis quelques années. Lorsque j’imite un mâle et que j’obtiens une première réponse d’un mâle, sa seconde réplique vient généralement quelques minutes plus tard. J’ai d’ailleurs observé la même chose à plusieurs reprises lorsque de vrais mâles entrent en contact avec leurs vocalises. Il y a fréquemment une courte période de silence après le premier échange de « rôts » des deux belligérants. Remarquez que, bien qu’il puisse y avoir eu quelques exceptions, l’observation de cette constance m’a amené à me poser la question suivante : pourquoi il y a ces quelques minutes de silence entre la première et la seconde réplique d’un mâle? J’ai réfléchi et discuté avec quelques personnes et j’en suis venu à émettre une hypothèse. Je crois que les deux mâles, réalisant qu’ils sont maintenant deux congénères dans le même coin, étudient silencieusement la situation. Ils se posent sans doute des questions dans leur tête comme : « qui est là? », « est-ce que c’est un humain? », « est-ce que l’autre est seul ou accompagné », « c’est quoi ses intentions? », « qu’est-ce que je dois faire maintenant? » etc. Je crois fortement que l’orignal réfléchit. Il analyse. Pendant ce moment, il n’émet aucune vocalise.

Depuis ce temps, j’utilise cette hypothèse en ma faveur. Lorsque je reçois une réponse après avoir imité un mâle, j’arrête de faire le mâle quelques minutes. Toutefois, je fais des sons de femelles pour continuer à maintenir l’intérêt du mâle dans l’espoir de susciter une réaction. Puis, lorsque le « buck » me répond une seconde fois, je peux recommencer à faire le mâle si je le juge nécessaire. Cette période volontaire de silence, du mâle que j’imite, a pour but de reproduire le moment où il étudie la situation. C’est donc dans le but de faire une mise en scène davantage réaliste en fonction de cette constance que j’ai observée.

Cela fait quelques années maintenant que je n’ai pas eu l’occasion de chasser avec mon arc. Mon travail de guide ne me permet plus d’être libre pendant les périodes prévues pour la chasse à la « flèche ». L’orignal que j’ai récolté avec mon arc en 2010 fût justement une des premières fois où j’ai testé ce moment de silence au niveau des échanges entre deux mâles.

Cet avant-midi-là, mes partenaires de chasse avaient vu une femelle et un petit « buck » qu’ils avaient délibérément laissé passer. Ils avaient aussi obtenu des réponses de ce qui paraissait être un plus beau mâle mais, peu à peu, celui-ci s’était désintéressé des invitations qui lui étaient lancées. À un moment donné, ce fut le silence radio comme on dit et le mâle semblait s’être envolé comme un fantôme. Dans l’après-midi, je suis allé dans ce même coin avec mon caméraman (mon complice de père). J’ai utilisé la chasse à l’approche pour gravir le flanc de montagne. Je marchais en imitant les appels d’un couple d’orignaux. Dès que le « buck » m’a répondu pour la première fois, j’ai mis mon imitation de mâle en sourdine mais j’ai poursuivi avec des plaintes et des bruits de femelle. L’orignal a gardé le silence quelques instants, analysant sans doute la situation. Puis, après quelques petites minutes, il a fait du « rattling » et a repris le dialogue. C’est alors que l’approche finale a débuté. J’ai récolté cet orignal à bout portant à 7,5 m (25 pi) alors qu’il approchait brandissant son panache les yeux exorbités. Vous pouvez voir la vidéo de chasse en ligne ici :

L’auteur en action lors de la récolte à l’arc d’un mâle à très courte distance alors qu’il le provoque avec des appels de buck.

Conditions météos défavorables

S’il y a un autre moment où je préfère maintenant garder le silence plutôt que de réaliser des appels c’est justement lorsqu’il y a beaucoup de pluie et de forts vents. Premièrement, c’est parce que le bruit engendré par la pluie et le vent atténue mes capacités auditives. C’est évident qu’il est plus difficile d’entendre une réponse dans ces conditions météorologiques comparativement à une belle journée paisible. D’ailleurs, il est fort possible, que les orignaux eux-mêmes entendent moins bien. Sans oublier qu’un orignal qui ne peut compter sur sa capacité auditive habituelle est sans doute davantage aux aguets et méfiant, car il ne souhaite pas se faire surprendre par un prédateur. Deuxièmement, tant qu’à choisir des moments opportuns pour garder le silence, aussi bien le faire quand les conditions météorologiques sont défavorables et nuisent à la propagation de mes appels et de mon audition. Durant ces conditions, je préfère nettement utiliser la méthode de chasse agressive, qui a été aussi préconisée par un autre chroniqueur Denis Lapointe. Cette méthode consiste à profiter des conditions météos extrêmes (forte pluie et/ou fort vent) pour se déplacer silencieusement et tranquillement dans un site où il y a des indices de présences d’orignaux mais aussi de se déplacer très rapidement vers les autres endroits à visiter afin de couvrir le plus de sites possibles durant cette période de mauvais temps.

Après une forte pluie ou de forts vents, une fois que le mauvais temps a cessé et que la pression barométrique est revenue à la normale, avez-vous remarqué que la forêt reprend vie? Avez-vous remarqué que l’orignal semble s’activer de nouveau. Après le mauvais temps, c’est l’occasion idéale pour effectuer des séances d’appels dans un bon endroit et espérer intéresser un orignal qui n’a pas eu l’opportunité de socialiser en raison des conditions climatiques des dernières heures ou derniers jours.

L’un de mes meilleurs souvenirs mémorables est sans aucun doute le mâle de plus de 62 pouces de panache que j’ai récolté à l’arc avec une séance d’appels. Cela faisait deux jours que nous étions victimes des frasques de la queue d’un ouragan. Le vent et les pluies diluviennes nous avaient grandement découragé. Un matin, à mon réveil, j’ai constaté que la forte pluie sur le toit de tôle du chalet avait incité les membres du groupe à faire la grâce matinée. J’ai quand même pris mon courage à deux mains, je me suis levé et je suis allé me doucher. En sortant de la douche, surprise, ça semblait le calme plat à l’extérieur. J’ouvre la porte et le vent et la pluie avaient disparu comme par magie. C’est alors que j’ai levé la voix vers les membres du groupe pour leur dire : « levez-vous! Le mauvais temps est fini. Il va y avoir de l’action à matin ». Ce matin-là, trois d’entre nous ont dialogué avec des mâles et moi j’ai récolté mon trophée à vie. Encore une fois, cette expérience me permet de croire que vaut mieux garder le silence pendant des conditions météorologiques défavorables et de plutôt miser sur le retour du beau temps pour effectuer des appels. 

MARCO CHABOT

L’auteur avec ses oncles Jean-Yves Pinault et Raymond Charest. Ce gros mâle a été récolté le lendemain matin après deux jours de mauvaises conditions climatiques.

Conclusion

Réaliser des appels d’orignaux est une excellente technique pour augmenter ses chances de succès. L’envers de la médaille c’est que presque tout le monde effectue des appels. Ce qui accentue la pression de chasse sur le gibier. Ainsi, les orignaux sont de plus en plus familiers avec les imitations allant même jusqu’à fuir l’endroit où le chasseur effectue ses appels ou à ne pas s’y intéresser du tout. Le chasseur qui désire s’adapter à ce défi a tout intérêt à utiliser l’appel avec parcimonie en intégrant des moments de silence dans sa routine. Le fait de conserver des périodes de silence augmente le réalisme par rapport à ce que l’on peut entendre naturellement dans la forêt. De fait, une journée typique dans la vie d’un orignal est jonchée de plusieurs périodes où il garde lui-même le silence. Ainsi, utiliser les appels dans les moments stratégiques et opter pour le silence dans les moments opportuns, dans des endroits précis, dans des contextes de chasse spécifiques et dans des conditions météorologiques favorables augmentent les chances du chasseur d’avoir du succès. Par ailleurs, en adoptant cette stratégie, j’aime aussi croire que les orignaux du coin recevront moins de stimuli sonores et ainsi, peut-être, seront-ils moins méfiants lors de nos prochaines séances d’appel.

Retour en haut