Par LOUIS GAGNON
CHEVREUIL
MARK RAYCROFT
Matin ou soir ?
Avec l’explosion des populations de chevreuils en milieu périurbain et l’appâtage sans limite comme principale technique de chasse, beaucoup de chasseurs ont besoin d’aller de moins en moins loin pour exercer leur activité. En contre-partie, ils semblent comprendre de moins en moins les comportements de survie du chevreuil. De son côté, le chevreuil en vieillissant, attiré ou pas par ces friandises, gère ses déplacements en fonction d’une chose; sa survie. Cette survie dépend d’un système de défense très adapté et basé principalement sur sa capacité de vivre en complète obscurité et protégé par la puissance de son nez mais encore plus; sa capacité à analyser le va et vient des intrus (chasseurs et prédateurs) sur son territoire.
MARK RAYCROFT
Des bucks qui disparaissent à l'ouverture
Même si la tentation est considérable de s’asseoir en bordure d’un grand champ vert suite à la photographie d’un super buck, je vous suggère fortement de vous éloigner du site alimentaire pour tenter de couper les sentiers menant au site de repos. Les deux bucks de la séquence vidéo ci-dessus étaient réguliers comme une horloge mais à 2 jours de l’ouverture, ils sont disparus de jour et sont devenus nocturnes dans le champ.
Encore la base
Pour déjouer cette défensive, la plupart des chasseurs québécois pensent malheureusement qu’ils ont peu de temps. Le travail, la famille et les autres activités font que lorsque la saison de chasse aux chevreuils arrive, rares sont ceux qui peuvent s’offrir une semaine complète de chasse. Plus encore, beaucoup de chasseurs, dû à leurs activités hebdomadaires doivent choisir régulièrement entre la chasse du matin et celle du soir. Y a -t-il vraiment une différence de qualité de chasse entre le matin et le soir ? Y-a-t-il réellement une différence de comportement chez le chevreuil et même chez l’orignal le matin versus le soir? Dans certains habitats, cette différence est-elle plus importante que dans d’autres habitats? Quelle technique fonctionne mieux le matin et vice versa? En réalité, devons-nous en faire une distinction où simplement chasser lorsque nous avons le temps?
Aujourd’hui la longue saison nous permet de chasser de la fin septembre à l’arc jusqu’à environ la mi-novembre à la carabine, le chasseur doit donc prendre en compte les changements majeurs de comportement chez les chevreuils durant la progression de la saison mais surtout les changements de localisation de la nourriture naturelle qui touche le territoire d’un buck donné. De plus, une autre différence importante du comportement des chevreuils se situe selon que vous chassez en milieu agro-forestier ou en forêt pure. Finalement, selon vos objectifs de récolte, il est possible que vous soyez confronté à un chevreuil plus nocturne que la moyenne qui remettra en question toutes vos stratégies. Pour toutes ces raisons, les réponses aux questions matin ou soir sont rarement blanches ou noires mais plutôt teintées de gris.
Allons-y d’abord avec la théorie de base très résumée et maintes fois vérifiée par les études. En vieillissant, les chevreuils deviennent plus crépusculaires pour finalement devenir presque nocturnes à 90% du temps. Les mâles le sont davantage que les femelles naturellement puisqu’ils vivent souvent seuls. Les chevreuils agro-forestiers sont plus nocturnes que ceux forestiers quoiqu’on puisse penser le contraire parce qu’on en voit souvent dans les champs. Il est donc juste de croire que règle générale, un mâle de 4,5 ans et plus qui vit en milieu agro-forestier devient pendant la chasse à la carabine une bête presque nocturne à 100% au moins dans les zones de nourriture abondante et très exposée comme les très jeunes coupes forestières ou les champs. Continuons avec les habitudes comportementales en rajoutant que plus la saison avance plus les chevreuils deviennent nocturnes jusqu’à l’apogée du rut où les mâles redeviennent plus aventureux donc recommencent à se déplacer de jour, stimulés qu’ils le sont par la gente féminine en chaleur.
Un pommier pour mâles matures nocturnes
Lors du relevé de vos images de caméras la tentation est plutôt forte de chercher à s’embusquer à portée de flèche de ce pommier en début de saison. Pourtant, ce n’est pas nécessairement le meilleur choix. En fonction du couvert forestier et du vent dominant, il sera plus sage et fort possiblement plus payant de se reculer en forêt pour tenter une interception lors du retour vers son couvert forestier dense qui peut servir de cachette. Ces deux séquences vidéo ci-dessus illustrent assez bien la réalité; femelles et jeunes mâles de jour et vieux matures de nuit.
Trop tôt dans les champs
Pour le chevreuil mâle adulte, avant le rut, la vie se limite à manger, dormir, frotter et gratter (si le ratio mâle femelle est correct ou proche d’être correct) mais toujours en fonction de la survie. Cette phobie à la survie passe avant toute chose et c’est la principale raison de sa nocturnité (nouveau mot francophone de chasse…) grandissante avec l’âge et la progression de la saison. Comme il doit obligatoirement manger, il le fera la nuit tombée à la moindre indication du danger ou encore dans sa propre zone de cachette qui renferme toujours un peu de nourriture.
Maintenant que cette théorie est acquise. Soyons pratique et commençons à analyser des situations de chasse en milieu agro-forestier. En premier lieu, disons que si vous chassez des chevreuils dont les mouvements sont fortement influencés par des cultures fourragères (trèfle et luzerne) ou céréalières (soya ou maïs), il est important de savoir que le matin très tôt, les chevreuils sont déjà en train de manger dans vos champs depuis plusieurs heures. La très grande majorité du temps, vous auriez avantage à ne jamais chasser le matin sur ces sites d’alimentation trop ouverts car inévitablement, vous allez effrayer vos chevreuils en vous approchant de ces champs.
Les plus jeunes chevreuils et la plupart des femelles reviendront à l’occasion de jour ou tôt en fin de journée mais pas les mâles matures. Il en va dans le même sens aux appâts. Rappelez-vous une chose, avant le rut, vos chances de prélever un mâle adulte sont étroitement associées à deux choses. La première, vous devez avoir ce genre de chevreuil dans votre secteur de chasse et la deuxième, si vous avez un vieux mâle sur votre territoire, tant qu’il n’a aucune raison de croire qu’il est en danger, il restera au moins un peu diurne en dehors de ses sites de repos.
Durant la saison arc-arbalète tout ne tient qu’à un fil…
En période d’arc-arbalète, la pression de chasse est souvent moindre et ça a tendance à garder les mâles adultes matures un peu plus longtemps diurnes dans des zones alimentaires un peu plus discrètes. Par contre, la moindre erreur transformera ces derniers en bêtes totalement nocturnes en milieu ouvert.
Que faire alors ? Restez au camp et atteindre la fin de journée? Bien sûr que non, mais un changement de stratégie s’impose et vous devrez peut-être considérer d’arrêter de chasser à proximité des garde-mangers. Règle générale, nous préconisons de chasser à 100% du temps avec le vent en notre faveur et nous espérons tirer profit d’une certaine routine de déplacements chez les chevreuils. Mais pour qu’une routine s’installe chez vos chevreuils, vous devez garder votre territoire tranquille sans grande pression de chasse ou de dérangement apparent. Comme la pression de chasse est considérable en milieu périurbain et agro-forestier, nous chassons plus régulièrement des tendances de comportements ou des réactions de chevreuils adaptés à nos intrusions durant la saison de chasse. La tendance la plus importante pour les mâles en milieu agro-forestier est de quitter tôt les sites de nourriture pour progresser vers les zones de repos rapidement. Pour cette raison, le matin, il est temps de commencer à apprendre à couper les sentiers qui mènent aux cachettes.
À faire
Pour éviter de signaler votre présence le matin, vous tentez d’être le plus près possible de la zone de repos en espérant qu’elle soit à bonne distance du secteur alimentaire. De cette façon, il est plus facile de se glisser dans votre mirador sans déranger votre proie. Si vous croyez que sa zone de repos est adjacente à son garde-manger, j’éviterais complétement de chasser le matin dans ce secteur avant le rut car vous effraierez à coup sûr les chevreuils lors de votre entrée. Dans un cas comme celui-là, même les soirs seront sensibles considérant la faible distance entre les deux zones d’intérêts, le ou les mâles, à la moindre indication de danger, auront plutôt tendance à attendre la noirceur totale. Dans ce sens, souvent une simple petite souche derrière un ou deux petits sapins font très bien l’affaire pour une petite heure de chasse à bon vent pour couper une passe.
Voici deux exemples qui illustrent bien le peu de préparation nécessaire pour exploiter un bon site sur le « fly » en tirant avantage du sens le plus faible du chevreuil, la vue. Un ou deux obstacles naturels devant vous suffisent à faire le travail.
Si vous croyez avoir repéré un lieu de repos de mâles matures et que vous voulez chasser à l’aide d’un système d’appâtage, il serait rusé de votre part de mettre cet appât à bonne distance du lieu en question en vous assurant qu’un couloir de bonne densité forestière permettre aux mâles de voyager de jour avec plus de confiance. De cette façon, vous pourrez possiblement avoir des options de chasse pour le matin et pour le soir.
Voici une solution de rechange pour ceux qui chassent des secteurs agricoles et qui n’ont que les matins de disponibles. Normalement, les chevreuils aiment manger sur le chemin de retour vers leur zone de repos. Si vous observez en soirée un ou des mâles manger dans des champs, les probabilités sont élevées qu’ils utilisent les mêmes champs durant une partie de la nuit et les quittent juste avant la clarté. Par contre, si une source alternative de nourriture existe dans un endroit plus discret et situé sur leur chemin menant vers le dortoir, ce petit trésor peut très bien vous mener vers le succès. Il ne reste plus qu’à vous infiltrer sans bruit et à bon vent pour espérer arriver avant le passage des premiers chevreuils. Ce petit snack bar discret pourrait être un champ abandonné, une jeune plantation, un vieux secteur d’ancienne épidémie d’insecte ou simplement une ouverture dans la canopée forestière qui laisse passer assez de lumière pour permettre une repousse dense au niveau du sol. En générale, tant que les mâles ne sont pas embarqués sur un cycle d’activité relié à la période du rut, les zones alimentaires ouvertes en milieu agro-forestier ne devraient pas être chassées le matin. La stratégie de l’embuscade sur les sentiers de retour est beaucoup plus efficace pour les vieux mâles.
J’entends déjà certains se questionner sur la manière de repérer le bon sentier pour tirer avantage du retour d’un mâle vers son dortoir. Il existe que deux indices soit la grosseur et la direction des pistes et la direction des frottages sur les arbres. Plus le rut approche, plus les mâles frottent. Ils frottent en se rendant vers les secteurs alimentaires et ils frottent également de retour vers le dortoir. Vous aurez compris qu’à la découverte de frottages sur un sentier si ces derniers font face à un bûcher par exemple, ces signes de provocation ont été déposés le matin au retour d’une nuit d’alimentation en milieu agricole. L’inverse est aussi valable. À la découverte de frottages faisant face à un dortoir potentiel, ils furent déposés lorsque le ou les mâles se rendaient vers le restaurant.
Couper les bucks sur la « passe »
Toutes les séquences ci-dessus de ces bucks matures sont de jour à plus ou moins 500 pi (150 m) d’une source alimentaire très ouverte ou d’un appât. Sur cetaines séquences on voit des frottages qui indiquent que les mâles voyagent dans les deux directions et à ce chapitre un sentier utilisé aller et retour est toujours supérieur.
J’entends quelques lecteurs penser tout haut… « Mon Louis, le temps de chercher des gros sabots, des frottages, etc. est révolu avec les caméras de surveillance ». Oui et non, si on considère que plus de 75% des gens mettent les caméras à l’année sur les salines et les appâts. C’est assez difficile de compiler des données autres qui peuvent servir pour une chasse stratégique. Même bien utilisées, la plupart d’entre nous faisons encore des erreurs d’utilisation. La pire est de vouloir avoir des photos et vidéos de trop près et jour et nuit. Sur des sentiers que j’espère chasser ou faire chasser, je mets rarement un mode jour et nuit, je positionne mes caméras beaucoup plus loin et je préfère utiliser l’ordinateur pour grossir dans l’image ou la vidéo plutôt que risquer un dérangement sur le terrain.
Selon l'habitat
En milieu agro-forestier où les terres agricoles constituent un attrait alimentaire irrésistible pour les chevreuils à l’approche de l’hiver, ce n’est quand même pas avant la deuxième semaine de chasse à la carabine que vous devriez considérer vous installer à n’importe quelle heure de la journée en bordure des sites d’alimentations ouverts. Durant le rut, les déplacements des mâles deviennent aléatoires sans chronologie et le chasseur disposant d’un nombre illimité d’heures de chasse autant tôt, en milieu ou à la fin de la journée, sera le plus avantagé. Au milieu de la deuxième semaine lorsque la plupart des chasseurs ont déserté, cette diminution de pression de chasse jumelée à la frénésie du peak du rut intensifient les mouvements des grands mâles en plein cœur de la journée. D’ailleurs que vous soyez en milieu agricole ou forestier, si vous tenez mordicus à récolter un grand mâle et n’avez que 4 jours de chasse, choisissez du mardi au jeudi de la dernière semaine de chasse. Tranquillité en forêt et excitation des bucks relié au peak du rut seront au rendez-vous et surtout restez en forêt toute la journée car pour avoir questionné les 1700 chasseurs qui ont suivi une formation chez nous durant les 20 dernières années, 90% des chasseurs ne chassent pas en milieu de semaine, en milieu de journée et encore moins la dernière semaine à la carabine où la pression de chasse est presque nulle.
En milieu forestier de la mi-septembre au 5 novembre, les mâles collent plus longtemps le matin en milieu ouvert comme un jeune bûcher et se déplacent moins vite vers leurs zones de repos. De plus, ils se relèvent souvent en mi-journée pour retourner manger dans des secteurs moins distants de leur cachette. Mes expériences et beaucoup d’études vont dans ce sens. Voici un exemple concret, si vous avez repéré un site potentiel de zone de repos à proximité d’une montagne de chênes, durant une bonne année de production de glands, vous avez de fortes chances que cette forêt de feuillus soit visitée en milieu de journée de la deuxième semaine de chasse par les mâles environnants.
Zones difficiles d’accès égales souvent gros bucks…
La première séquence ci-dessus se déroule en milieu de semaine et en mi-journée mais dans les broussailles denses en bordure d’un mariais difficile d’accès. La deuxième séquence vidéo a eu lieu mardi le 5 novembre à 12h30 sur une terre publique à pression de chasse faible à moyenne, à 625 mètres d’un chemin publique et environ 400 mètres d’un appât mais sur le plus haut sommet des environs. Doit-on chasser le matin ou le soir? Mauvaise question… Ne devons-nous pas chasser simplement le plus possible et là où peu ou pas de chasseur iront?
Voici trois petites exceptions. Tôt en saison, plus les journées s’annoncent chaudes, plus les premières minutes du matin et les dernières minutes du soir sont importantes. Le reste de la journée sera très calme puisque les chevreuils attendront la baisse de température qu’amène le couvert de la nuit pour retourner manger. Pendant ces journées chaudes, les bords de cours d’eau herbeux sont aussi à privilégier. En milieu de saison, en novembre, vous verrez un effet inverse si la température descend considérablement par rapport à la moyenne saisonnière durant la nuit, le lendemain, les chevreuils bougeront lentement et auront tendance à attendre le soleil chauffant de la fin de la matinée pour commencer à bouger. J’ai observé ce phénomène régulièrement un peu partout en milieu forestier au Canada autant à Anticosti, sur notre terre dans l’Outaouais que dans l’Ouest Canadien. Un autre dernier petit point, si vous chassez des lignes de grattages, quoique la plupart de l’activité y est de nuit, l’autre période très active sur les grattages a lieu le matin jusqu’à 10h00 environ. Donc que vous soyez en milieu forestier ou agro-forestier, vous auriez possiblement avantage à quitter une ligne de grattages après les premières heures de chasse pour vous approcher des zones alimentaires à proximité des couverts forestiers denses.
En résumé, rien ne peut remplacer le nombre d’heures de chasse disponibles car aucun chevreuil n’est récolté dans le camp. Donc le chasseur à l’horaire limité aux matinées et aux soirées, devrait prendre le temps de réfléchir sur la tendance des mouvements des chevreuils, monter son embuscade à bon vent, faire sa prière au saint des chasseurs et la chance fera peut-être le reste.
Rien ne peut remplacer le nombre d’heures de chasse que nous pouvons consacrer car aucun chevreuil n’est récolté les deux pieds sur la bavette du poêle…