MARK RAYCROFT

ORIGNAL

Les deux périodes de grande vulnérabilité

La chasse à l’orignal arrive rapidement et nous sommes à quelques semaines de faire nos premières vocalises dans nos merveilleuses forêts. J’ai donc décidé de vous présenter un sujet sur lequel mon ami Jeff Gauthier et moi-même avons travaillé en étroite collaboration durant quelques années, c’est-à-dire l’installation de caméras de surveillance pour mieux comprendre les deux périodes de grande vulnérabilité des orignaux. Avant même de débuter le projet, nous entendions déjà plusieurs histoires. Tout d’abord, certains mentionnaient que les orignaux étaient en période de repos vers la fin septembre. On entendait aussi dire que lors de leur prospection, plusieurs chasseurs découvraient plusieurs signes d’activités à la mi-septembre, mais que dès l’arrivée de la chasse vers la fin septembre, c’était comme si les orignaux avaient déserté la forêt. Nous avons eu la chance d’étudier deux secteurs naturels en territoire public, loin de la présence humaine, ce qui nous a permis de mieux comprendre le déroulement du rut chez l’orignal.

Nous avons débuté sans aucune idée préconçue qui aurait pu biaiser l’interprétation des résultats de notre projet. Nous avons été en mesure avec ces observations de relever des pointes d’activités apparentes sur le terrain durant la période du rut chez l’orignal. Évidemment, pour être en mesure de pouvoir vous livrer cet article, nous avons cherché à comprendre les liens entre l’aspect biologique de l’animal et nos dates d’activités (pointes d’activités). Il est important de noter que cet article ne se veut pas promoteur d’une période précise pour faire votre chasse, car selon nous, toutes les périodes de chasse sont bonnes. Il s’agit plutôt d’un guide vous permettant d’être bien outillé afin de cibler dans quelle période de chasse vous serez et ainsi pouvoir mieux planifier vos objectifs et vos stratégies. En résumé, il s’agit plutôt d’une question de probabilité d’interaction avec le gibier selon la période chassée.

Méthodologie

Il est primordial, selon moi, de bien comprendre la méthodologie que nous avons utilisée pour relever ces informations. Nous nous sommes assurés d’avoir les éléments les plus naturels possible pour avoir les résultats les plus réalistes correspondant au déroulement du rut chez l’orignal. Ces relevés d’images ont été faits dans deux nids d’amour différents (aucune saline proche), plus précisément dans des secteurs accessibles pour la majorité des chasseurs au nord du Saguenay-Lac-Saint-Jean, puis un autre plus au sud (plusieurs centaines de kilomètres séparent ces deux secteurs). D’ailleurs, nos deux secteurs étudiés étaient composés d’une population d’orignaux d’une densité moyenne avec un ratio M/F équilibré et la présence de mâles matures. Les caméras ont été installées dans des endroits où des souilles sont présentes depuis plusieurs années avec une convergence d’autres signes automnaux. Ces secteurs étaient loin de la présence humaine, loin des coupes forestières actives ou bien de toute autre perturbation qui pourraient affecter nos résultats. En résumé, les seuls humains qui allaient dans ces secteurs étaient donc Jeff et moi avec nos équipes respectives.

Entrons maintenant dans le vif du sujet…

Au bout du terme de sept ans, le relevé de nos images nous a vraiment impressionnés. Nous nous sommes donc retrouvés avec plusieurs images qui se sont répétées à chaque année, sensiblement aux mêmes endroits et aux mêmes dates avec une marge d’erreur de 2 à 3 jours.

Tout d’abord, je tiens à préciser que nous avons mesuré l’intensité de l’activité apparente (pointe d’activité), entre autres, grâce à l’action perceptible sur nos caméras des mâles qui voyageaient dans nos nids d’amour. La période d’échantillonnage de nos images a débuté à l’automne 2015, et ce, jusqu’à l’automne 2021. Nous avons remarqué que, dans nos nids d’amour, une activité apparente marquée débutait particulièrement chez les mâles matures vers le 12 septembre (prenez note qu’une variation de 48 à 72 heures pouvait être observée). L’arrivée de ces mâles matures entrainait souvent l’arrivée de bêtes immatures les jours suivants.

Jeune mâle en maraude émettant quelques appels le 17 septembre. Si vous portez bien attention à la fin de la vidéo vous entendez une femelle répondre au jeune buck.

Par la suite, nous avons constaté que l’activité s’intensifiait lentement jusqu’au 18 septembre où nous atteignions un sommet d’activités apparentes (notez encore une fois qu’une variation de 48 à 72 heures pouvait être observée). C’est alors que nous pouvions constater une activité remarquable tout au long de la journée avec la présence de 2 à 3 mâles matures différents voyageant dans le secteur. Cette activité se poursuivait en ralentissant progressivement jusqu’au 24 septembre.

En analysant les images, nous étions réellement surpris de voir que ce phénomène se reproduisait aux mêmes dates, année après année, à quelques jours près. Évidemment, deux questions ont alors surgi dans nos têtes! Que se passe-t-il? Pourquoi les mâles matures ainsi que la majorité des orignaux sur nos caméras délaissent nos nids d’amour vers la fin septembre?

Par la suite, un retour d’activités graduelles se manifestait vers le 2-3 octobre. Toutefois, il y avait une grande différence car la présence de jeunes mâles dans nos secteurs étudiés était alors beaucoup plus importante. Contrairement à la mi-septembre, la présence des mâles matures était plus sporadique. En analysant nos images, nous avions vraiment l’impression que les mâles déclassés ou les mâles que nous appelions « satellites » (jeunes mâles) prenaient plus de place dans le déroulement de la période du rut contrairement à ce que nous avions observé dans la deuxième moitié de septembre. Nous avons aussi remarqué que cette activité semblait s’intensifier progressivement jusqu’à la mi-octobre (14-15 octobre) pour atteindre un plateau puis redescendre progressivement les jours suivants.

Je tiens également à préciser que sur toutes les années que nous avons étudiées, nous avons observé la même activité aux mêmes dates, peu importe la température. Souvent en tant que chasseur nous croyons que la température aura un impact sur l’activité des bêtes sur le terrain. Par exemple, plusieurs chasseurs croient que les gelées ou les lunes ont un impact sur le déroulement du rut. Toutefois, de notre côté, nous avons observé que peu importe la température, l’activité reliée au rut a lieu sensiblement dans les mêmes dates, année après année. De plus, nous avons aussi observé que les lunes ne semblent pas avoir un impact sur nos dates d’activités.

Selon nous, les constatations que nous avons faites risquent de se reproduire dans bien des secteurs à moyenne/haute densité avec obligatoirement la présence de mâles matures. Il est important de prendre note que les gens chassant un territoire avec un très gros débalancement du ratio M/F ou bien avec l’absence totale de mâle mature ne soient pas en mesure d’observer les mêmes constatations que nous avons faites. De plus, il est également possible que les gens chassant des secteurs ayant une population d’orignaux à basse densité soient plus difficilement en mesure de bien observer ce phénomène

La biologie de l’orignal

À la suite de l’analyse de nos images et de toutes les questions que nous avons soulevées, il était important pour nous de se référer à la biologie de l’animal pour trouver des réponses. Ainsi, nous nous sommes tournés vers les diverses études réalisées sur l’orignal, citées dans le texte La dynamique du rut écrit par Jocelyn Noël. D’ailleurs, nous avons organisé une rencontre avec Jocelyn qui nous a permis de faire des liens forts intéressants.

Tout d’abord, la dynamique du rut nous apprend que, dès le début septembre, sous l’effet de la testostérone, les velours des mâles matures se nécrosent et ces derniers s’en départissent le plus rapidement possible. Dès lors, il est possible pour un chasseur d’obtenir une certaine réactivité de leur part. Simultanément à la perte des velours des mâles matures, ceux-ci réduisent leur ration alimentaire progressivement jusqu’au 12 septembre, c’est alors que l’arrêt alimentaire survient (cessation alimentaire) chez la majorité des bêtes matures. Dès qu’il arbore ses bois durs, le mature se met à parcourir tous les lieux névralgiques de son territoire. De tels lieux se trouvent un peu partout en forêt mais plus fréquemment là où convergent plusieurs sentiers régulièrement empruntés par les orignaux. Généralement, le sol y est plutôt meuble, humide et propice à la confection de souilles. Ce n’est qu’une hypothèse que mon collègue Jeff et moi avons formulée, mais nous croyons que la perte des velours ainsi que l’arrêt alimentaire causés par le haut niveau de testostérone chez les grands mâles créent une réaction importante ayant un impact direct sur eux, ce qui ferait en sorte que ces grands mâles seraient plus actifs et vulnérables. D’ailleurs, toutes ces données biologiques correspondent exactement à l’activité que nous pouvions observer dans nos nids d’amour vers le 12 septembre à plus ou moins 2-3 jours.

Mâle mature et deux femelles en déplacement dans un nid d’amour le 19 septembre.

Dès le début de la cessation alimentaire, par un phénomène physiologique complexe, l’urine des grands mâles devient encore plus odorante et chargée en phéromones. La cessation alimentaire dure normalement quelques semaines, c’est-à-dire, jusqu’au pic du rut vers le 27 septembre (plus ou moins 2-3 jours).  C’est une fois rendu à la date médiane de la cessation alimentaire vers le 18 septembre (plus ou moins 2-3 jours) que le mature devient le plus dominant et prêt à tout pour défendre son titre. C’est à ce moment que les propriétés incitatrices et/ou dissuasives de son urine sont maximales. D’ailleurs, c’est précisément durant ces quelques jours que nous avons observé une forte pointe d’activité (18-20 sept) autant diurne que nocturne chez les mâles matures. Inutile de préciser que c’est à ce moment que les matures sont les plus réactifs à la provocation.

Mâle creusant une souille dans un nid d’amour le 17 septembre. Si vous écoutez bien vous allez entendre le buck uriner.

Cette importante pointe d’activité survient une dizaine de jours avant leur pic hormonal qui lui, se produit en même temps que le pic du rut (moment où la majorité des femelles ont une première ovulation). Le décalage entre les deux évènements constitue l’une des plus belles stratégies évolutives des orignaux. Puisque les mâles matures s’imposent aux femelles bien avant les autres mâles, il en résulte qu’ils sont les premiers à créer des rapprochements avec celles qui ovuleront au moment idéal soit, durant les quelques jours du pic du rut. En réalité, le décalage favorise un maximum d’accouplements entre les individus mâles et femelles les mieux dotés génétiquement. Les rejetons issus de ces unions seront des bêtes supérieures qui contribueront grandement à la pérennité de l’espèce.

Deux mâles subordonnés s’affrontant dans un nid d’amour le 19 septembre.

Après cette pointe marquée d’activité, les matures sont de moins en moins visibles devant nos caméras, et ce, jusqu’à la fin du mois. C’est normal puisque selon la dynamique du rut, ils sont de plus en plus occupés avec les femelles prêtes à s’accoupler. À ce moment, les rapprochements sont faits, les couples sont en action dans des endroits qu’on peut qualifier de plus tranquilles, même si, paradoxalement, ils sont parfois entourés d’un clan d’orignaux. Ce qui laisse progressivement plus de latitude aux mâles satellites ou immatures dans nos sites de rencontre. Nous avons d’ailleurs remarqué sur nos caméras un gain d’activité chez les jeunes mâles à compter du début octobre.

À partir d’ici, le visage de la reproduction devient un peu moins précis parce que, contrairement aux mâles matures qui entrent en saison de reproduction pratiquement tous en même temps, les immatures le font de façon éparse, dépendamment de leur niveau de maturité. Les plus jeunes sont les derniers à entrer dans le jeu. Les immatures deviennent tour à tour dominants et actifs devant nos caméras à partir du début octobre, aller jusqu’à la fin du mois en passant par une pointe d’activité vers la mi-octobre. D’ailleurs, ça correspond avec ce que de nombreux chasseurs appellent le deuxième pic du rut. Après cette deuxième pointe captée par nos caméras, comme mentionné plus haut, le niveau d’activité apparent des orignaux diminue lentement jusqu’à la fin du mois.

En d’autres mots…

Il est important de ne pas confondre une activité sexuelle à une activité apparente (perceptible par les chasseurs sur le terrain). Même si elles font partie du déroulement du rut, ce sont deux types d’activités différentes. Ce n’est pas parce que les orignaux sont actifs sur le terrain que leur activité sexuelle (accouplement) est à son plus haut niveau. Il faut comprendre que ces périodes d’activités/vulnérabilités sont valides et bonnes si vous chassez dans les bons endroits. Pour être en mesure de pouvoir profiter pleinement de ces périodes, il est primordial de bien connaître son territoire (cheptel, endroits de rut) et de ne pas se fier seulement à l’activité aux salines.

Femelle très volubile accompagnée d’un jeune mâle dans un nid d’amour le 23 septembre.

Tel que cité plus haut, cet article n’a pas pour but de couronner une période précise de la chasse, mais de donner aux chasseurs plus de connaissances via nos observations jumelées aux données biologiques. Ainsi avec toutes ces données, nous croyons qu’un chasseur sera en mesure de mieux s’adapter aux différentes situations qu’il risque de rencontrer. Les périodes d’activités relevées sur nos caméras sont les moments que nous avons identifiés comme les périodes de vulnérabilité chez l’orignal (mi-septembre et début octobre à la mi-octobre). D’ailleurs, plusieurs chasseurs les connaissent déjà très bien. Évidemment, lorsque les orignaux sont actifs, ils sont beaucoup plus vulnérables face aux chasseurs et les probabilités d’entrer en contact avec eux sont plus élevées que dans une période où l’activité sexuelle est à son plus haut (fin septembre). Cette période est d’ailleurs souvent identifiée par les chasseurs comme plutôt tranquille. Cependant, ce n’est pas parce que l’activité sexuelle est à son plus haut niveau qu’il s’agit d’une mauvaise période de chasse. Les jeunes mâles ou les mâles déclassés qui n’ont aucune femelle et ne font pas partie d’un clan peuvent alors être très vulnérables aux avances ou provocations des chasseurs.

Mâle mature émettant des vocalises la nuit dans un nid d’amour.

Nous voulions faire une parenthèse concernant la température. Nous croyons que les périodes chaudes sont particulièrement plus difficiles pour les chasseurs, mais comme expliqué plus haut, elles n’impactent pas le déroulement du rut. D’ailleurs, c’est souvent vers la mi-septembre que les chasseurs sont confrontés à des périodes de chaleur plus intense. Toutefois, nous croyons que la période de mi-septembre (que nous avons identifiée comme première période de vulnérabilité chez les orignaux) est une période sous-estimée par un grand nombre de chasseurs. Nous croyons que dans des conditions avantageuses pour les chasseurs (température fraîche, chasser les endroits propices), les probabilités d’entrer en contact avec un orignal sont très bonnes, particulièrement avec les mâles matures. Bien que ces grands mâles ne soient pas au pic de leur taux hormonal, il est suffisamment élevé pour les rendre vulnérables. La deuxième période d’activité est également très bonne mais vous avez de meilleures probabilités de vous confronter à des mâles immatures la plupart du temps, mais encore là, rien n’est noir ou blanc à la chasse à l’orignal. D’ailleurs, dans la deuxième période de vulnérabilité (début à la mi-octobre) le nombre de femelles disponibles est largement moins élevé, ce qui augmente les chances d’interactions avec un mâle à la recherche d’une partenaire.

Tous les chasseurs expérimentés vous diront que les liens que nous faisons entre le niveau d’activité et de vulnérabilité des bêtes ne garantissent aucunement le résultat d’une chasse. Il y aura toujours d’autres choses à considérer dont le facteur chance, car la chasse n’est pas une science pure.

Diaporama illustrant les deux périodes de vulnérabilité chez l’orignal et dont il est question dans cet article.

Pour terminer

Les propos et les images de cet article résument le fruit de notre travail des sept dernières années. Avec ces informations, vous serez mieux outillés pour comprendre les périodes de vulnérabilité chez les orignaux. Nous sommes convaincus que les chasseurs qui exploitent ces périodes dans les bons secteurs seront en mesure d’obtenir d’excellents résultats. Également, je dois vous rappeler que notre étude s’est déroulée sur des territoires publics, isolés et comportant des populations d’orignaux avec des densités moyennes ainsi que des ratios M/F équilibrés. Il est donc possible, comme mentionné plus haut, qu’en d’autres circonstances et lieux que les orignaux se comportent autrement. 

Je tiens à préciser que Jeff et moi présentons nos observations sans aucune prétention. Nous continuons d’ailleurs, nos observations et nous comptons bien approfondir davantage nos recherches dans ces périodes cruciales avec plus de caméras vidéo. D’ailleurs, je vous invite à faire de même en localisant des endroits où des signes automnaux sont présents dans vos secteurs de chasse puis en y installant vos propres caméras de surveillance. Comme nous, vous serez sûrement surpris de tous ce que vous apprendrez sur ce grand cervidé.

En terminant, je vous invite à tirer vos propres conclusions de cette étude et de bien vouloir nous en faire part si vous le désirez, la discussion reste ouverte. padesbois@outlook.com ou bien sur Facebook @PA des bois, ma passion.

À vos marques, prêts, BONNE CHASSE!

NOTES IMPORTANTES: Les mâles déclassés ou mâles satellites peuvent varier selon le cheptel d’orignal qui se trouve sur votre territoire.

Retour en haut