CHEVREUIL
En octobre cherchez la nourriture naturelle
MARK RAYCROFT
Pour beaucoup d’entre vous, la chasse aux chevreuils se résume au mois de novembre, au froid, au rut, et souvent aux dernières sorties en forêt avant de remiser les armes. Avec l’avènement d’armes plus rudimentaires, comme l’arc et l’arbalète, nos gestionnaires nous ont permis de chasser durant d’autres saisons qui coïncident avec le mois d’engraissement du chevreuil, mais aussi le mois où les mâles matures ont le territoire le plus petit et le plus stable de l’année.
Depuis maintenant près de deux décennies, de nombreux chasseurs de chevreuils pratiquent l’activité en octobre pour des raisons pratiques. Cela inclut principalement une pression de chasse plus faible, des températures plus clémentes, et croyez-le ou non, mais dans de nombreux cas, une meilleure chance de récolter un vieux mâle, un trophée.
En octobre, deux comportements importants des vieux mâles sont déclenchés, ce qui est peu ou mal compris par les chasseurs et donc peu exploité à leur avantage pour conclure une chasse avec succès. En effet, la majorité des études comportementales ainsi que mes nombreuses observations personnelles vont dans le même sens : les vieux mâles réduisent significativement la taille de leur territoire pour se concentrer sur l’utilisation des secteurs les plus riches en termes de nourriture naturelle. Cela est d’autant plus vrai s’il y a un secteur dense de protection à proximité.
En effet, à cette époque, les vieux mâles se concentrent presque exclusivement sur l’alimentation et le repos. Ce n’est que vers la fin octobre qu’ils augmentent sensiblement leurs sorties, souvent nocturnes, à mesure que le mois avance.
Jusqu’à présent, rien de vraiment nouveau, vous pourriez dire. En effet, le problème est que la plupart des chasseurs n’ont pas de concentration adéquate de nourriture naturelle sur leur terrain, encore moins à proximité d’une zone dense de protection pour attirer ce type de chevreuil (voir photo 1 pour un premier exemple). D’autres chasseurs ont exactement le petit joyau de territoire recherché par les vieux bucks, mais comme ils ne connaissent pas les types de nourriture à rechercher pour cette période de l’année, ils ne peuvent pas comprendre l’importance de l’habitat recherché par un vétéran chevreuil ayant vécu plusieurs saisons de rut. Selon des études, un gros mâle de 200 livres et plus consomme entre 6 et 8 livres de feuilles, de branches, d’herbes, etc. par jour. Je vous mets au défi de récolter et de peser cette quantité de végétation, vous seriez surpris par le volume et les efforts nécessaires pour ramasser une telle quantité de fourrage.
En octobre, lorsque les végétaux sont moins abondants, il devient encore plus crucial de comprendre l’importance du choix de l’habitat pour un vieux buck, surtout si celui-ci souhaite éviter de passer des heures à se nourrir dans un environnement trop ouvert (voir photo 2).
À première vue, la nourriture pour les chevreuils semble assez simple à trouver. Elle comprend toutes sortes d’herbes, d’arbustes, de feuilles d’arbres, de ramilles d’année en cours et de cultures avoisinantes qui poussent à une hauteur de 1,5 mètre ou moins. Le mot clé ici est le compromis. Pour produire une nourriture de qualité en abondance, il faut de la lumière qui touche le sol, ce qui est souvent synonyme de danger visuel pour les gros chevreuils, car cela rend l’environnement trop clair. Il s’agit donc d’un savant mélange de couvert de conifères bas mélangé à une variété précise d’espèces de feuillus (voir photo 3). Il y a donc des exceptions et des préférences, que je décris dans le tableau 1 de cet article (ci-dessous).
Je comprends maintenant mieux l’importance de la réduction des mouvements et du territoire des mâles en octobre, et nos observations à Anticosti ainsi que nos études sur nos terres dans l’Outaouais, en Alberta et en Saskatchewan soutiennent cette tendance.
Photo 3 : pour qu’une zone de nourriture soit intéressante pour les mâles matures elle doit représenter un savant mélange de couvert de conifères bas à une variété précise de feuillus.
Tableau 1 – Espèces végétales préférées en forêt
Catégorie arbre | Catégorie arbuste et herbe | |||
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Groupe A | Groupe B | Groupe C | Groupe A | Groupe B |
Érable à sucre | Tremble | Sapin | Clintonie boréale | Framboisier |
Érable à épis | Sorbier | Frêne | Trille du Canada | Graminée |
Érable rouge | Bouleau | Aulne | Pissenlit | Vinaigrier |
Cerisier de Virginie | Pruche | Rosier | Épilobe | |
Pommier (fruit et feuillage) | Cèdre | Trèfle alsike | Verge d’or | |
Chêne (fruit et feuillage) | Hêtre (fruit)* |
* Cette espèce peut se trouver dans le groupe A ou B selon la quantité de fruits et la région.
Zones agroforetières
En outre, l’étude menée par Isabelle Rouleau, une étudiante chercheuse de l’Université de Rimouski, confirme ces observations. Dans les régions avec une forte densité de chevreuils, atteignant environ 10 chevreuils par km2, telle que dans le sud du Québec, les chevreuils ont réduit de plus de la moitié leur territoire. Ils semblent également effectuer moins d’expéditions extraterritoriales et utilisent moins les forêts de sous-bois de feuillus, préférant plutôt les forêts mixtes plus jeunes où la nourriture et le couvert sont bien combinés.
Si vous pensiez que la nourriture naturelle n’était pas si importante et qu’un bon tas de pommes pouvait compenser cette lacune, détrompez-vous! La même étude démontre que les chevreuils du sud du Québec, vivant à forte densité, se déplacent beaucoup plus en période de pré-rut, mais sur des distances beaucoup plus courtes. Cela suggère qu’ils utilisent leur habitat de manière plus intense et reviennent régulièrement dans les mêmes secteurs, mettant en avant l’importance d’un savant mélange de couvert et de nourriture de qualité.
Ces informations soulignent clairement que la compréhension de l’habitat et de la disponibilité de la nourriture naturelle est essentielle pour les chasseurs qui souhaitent réussir dans leur quête du vieux buck pendant la saison d’octobre.
Il est intéressant de noter que ces chevreuils évitent les sous-bois de feuillus purs qu’ils ont déjà broutés depuis longtemps. En revanche, les chevreuils forestiers vivant dans des régions plus nordiques et à faible densité de population se déplacent dans des habitats moins spécifiques, car la nourriture forestière y est abondante (voir photo 4 ci-dessous).
Photo 4 : exemple de couvert forestier avec nourriture en sous étage fréquenté par les chevreuils de grande forêt.
En général, les études menées au Québec rejoignent de nombreuses autres études réalisées dans des régions plus au sud ou à l’ouest, qui indiquent que les chevreuils avec une densité de population d’environ 8 cerfs par km2 et plus semblent contrôler la régénération de plusieurs espèces de feuillus et d’herbacés. Plusieurs de ces études démontrent également que la quantité et la qualité de la nourriture jouent un rôle important dans la taille des chevreuils, leurs déplacements et la taille de leur territoire. Cette densité de 8 chevreuils par km2 est souvent citée dans la littérature scientifique comme la densité pivot où les chevreuils commencent à surbrouter la végétation naturelle au point de réduire ou d’éliminer certaines espèces de plantes les plus recherchées.
Pour faciliter votre compréhension et ne pas alourdir la théorie, disons simplement que les régions du sud du Québec en milieu agricole abritent généralement ce type de population de chevreuils, tandis que les régions forestières éloignées des champs ont des densités de chevreuils plus faibles, allant de 2 à 5 chevreuils par km2 selon les endroits.
En effet, dans les régions du sud où la densité de population de chevreuils est de 6 à 10 par km2, voire plus dans certaines zones, la connaissance des secteurs de nourriture forestière de haute qualité devient un atout précieux, car c’est à cette densité que cette nourriture se raréfie en raison de la pression de broutage exercée par les chevreuils.
Je comprends que vous éliminez les cultures agricoles, bien qu’elles soient très riches et très prisées, car elles représentent un danger pour nos vieux chevreuils qui les utilisent principalement la nuit, et ce sont les vieux individus qui nous intéressent. Cependant, un garde-manger forestier de haute qualité en bordure d’un champ agricole avec du fourrage de qualité tel que le soja, la luzerne et une repousse de trèfle peut certainement être un avantage.
Prenons un autre exemple. Un chablis ou une coupe sélective âgée de 10 à 15 ans, ou une coupe totale de 3 à 8 ans. Il ne suffirait pas d’étendre quelques poches de maïs parmi le soja, de préférence en bordure de la forêt. Ce « bar à salade » hautement nutritif et digestible n’a pas d’équivalent dans les milieux agroforestiers à cette période de la saison (voir photo 5A et B).
A
B
Photo 5A et B : exemple d’une zone forestière avec beaucoup de nourriture en bordure d’un champ agricole. Ce genre d’endroit est très attirant pour les mâles méfiants qui y retrouvent un véritable buffet à volonté sans avoir à se mettre à découvert. Ils peuvent alors attendre la tombée de la nuit pour visiter le champ agricole.
Zones forestières
Passons maintenant aux zones forestières, où les chevreuils vivent en faible densité de population. En général, il y a habituellement plus de nourriture de qualité disponible pour répondre aux besoins de ces chevreuils. Cependant, un vieux buck choisira le « caviar » près de son lieu de repos avant tout, c’est-à-dire une nourriture de haute qualité à proximité de sa chambre à coucher.
Il est vrai que les bûchers forestiers de 4 à 10 ans ont tendance à attirer les chevreuils environnants. Cependant, il est préférable d’éviter les bûchers à forte repousse de hêtres, de sapins et d’épinettes, ainsi que ceux recouverts presque exclusivement de plants de framboisiers, car ces plantes sont considérées comme des espèces de deuxième catégorie pour le chevreuil.
Pendant la saison de chasse à l’arc, qui se déroule de fin septembre à mi-octobre, si vous avez le choix, privilégiez les bûchers régénérés par l’érable rouge, l’érable à épis, le chêne, le tremble et un sol recouvert de plantes herbacées avec peu de framboisiers. Plus le mois d’octobre avance, plus une forêt ayant subi une coupe sélective importante sera visitée, car le couvert clairsemé favorisera la repousse d’arbustes intéressants qui resteront verts plus longtemps en raison du couvert. Lorsque toutes les feuilles sont finalement tombées, il est temps de retourner dans les bûchers.
Si vous avez la possibilité de chasser sur plusieurs bûchers, concentrez vos efforts sur ceux qui ont une repousse d’arbustes qui prend le dessus sur la strate herbacée. En octobre et novembre, cette strate végétale au sol n’offre plus aucune valeur nutritive, tandis que les arbustes des espèces attractives seront intensément broutés, en particulier les ramilles qui ont poussé pendant l’été précédent. Ces types de bûchers sont souvent plus âgés (4 à 8 ans) et exigent que le chasseur chasse depuis un tree-stand pour augmenter sa visibilité (voir photo 6).
Photo 6 : en octobre concentrez vos efforts dans les buchers qui ont une repousse d’arbustes qui prend le dessus sur la strate herbacée et installez-y un affût surélevé pour avoir un meilleur champ de vision.
La patience est en effet essentielle lors de la chasse au chevreuil, et l’utilisation d’une bonne paire de jumelles est vivement recommandée. J’ai souvent observé de beaux bucks dans ce type de bûcher qui passaient plusieurs heures à se nourrir, mais qui étaient visibles seulement quelques minutes par heure en raison de la densité arbustive du secteur. En forêt, seules une forte production de glands provenant de chênes matures ou une pression de chasse élevée me feraient sortir des bûchers, si j’ai accès à de tels endroits. Sinon, je choisirai un entonnoir naturel qui mène à l’un de ces bûchers.
Certaines saisons, une forêt mature de hêtres mérite ma confiance en raison d’une bonne production de faînes, que les chevreuils apprécient presque autant que les ours. De plus, ces hêtres ne perdent pas leur feuillage doré, ce qui offre à la fois couvert et nourriture sous le même toit.
En raison de mon métier, je connais personnellement plusieurs dizaines de chasseurs de chevreuils chevronnés, dont beaucoup ont suivi une formation sur le terrain avec nous. Les chasseurs les plus performants pour récolter des mâles matures travaillent presque exclusivement sans appâts, ou utilisent de très petites quantités d’appâts dispersés directement dans des garde-manger naturels. De plus, ils ont une connaissance approfondie du régime alimentaire naturel de leurs chevreuils (voir photo 7). Comme leurs proies, ils suivent l’évolution saisonnière de cette nourriture afin de consacrer le plus de temps possible à la chasse à proximité des meilleurs garde-manger du moment.
Photo 7 : les chasseurs qui ont le plus de succès pour récolter régulièrement des mâles matures sont ceux qui utilisent pas ou peu d’appâts. Une bonne méthode consiste à disperser de petites quantités directement dans les garde-mangers naturels.
En effet, suivre l’évolution saisonnière de la nourriture des chevreuils et consacrer le plus de temps possible à la chasse près des meilleurs garde-manger du moment est une stratégie efficace. Recherchez cette nourriture, en particulier celle qui se trouve à proximité de zones forestières très denses qui servent de couvert de sécurité. Utilisez vos caméras de surveillance pour repérer les habitudes de déplacement des chevreuils et déplacez-vous avec précaution entre les deux habitats, en utilisant le vent à votre avantage. La patience sera récompensée.
Quelques conseils de dernière minute…
La nourriture naturelle évolue lentement, et une fois qu’un secteur atteint son apogée en termes de nourriture, il peut rester attractif pendant plusieurs années, voire jusqu’à 10 ans, avec peu ou pas d’intervention humaine. Profitez-en pour installer des miradors portatifs semi-permanents qui pourront être utilisés pendant plusieurs années, réduisant ainsi les efforts de préparation d’une année à l’autre et minimisant le stress lié à l’installation des miradors. En octobre, les mâles se déplacent peu et ont un territoire restreint, ce qui les rend faciles à chasser une fois que vous avez bien repéré leur comportement. Cependant, étant donné qu’ils sont encore en pré-rut, les niveaux hormonaux faibles ne suffisent pas à tromper un vieux buck face à de petites erreurs des chasseurs. Ne négligez pas l’importance du vent et évitez de préparer un secteur avec trop d’éclaircies ou d’appâts. Enfin, plusieurs miradors offrent plusieurs bonnes premières journées de chasse. N’est-ce pas la première journée dans un affût qui est souvent la meilleure ? Bonne chasse !
Exemples de chevreuils utilisant des zones forestières de nourriture naturelle en automne.