ORIGNAL
Suivi d'un mâle dans la deuxième période de vulnérabilité chez ce grand cervidé
Le mâle suivi durant
11 jours par les
caméras des auteurs.
Texte, photos et vidéos
Pier-Alexandre Tremblay
en collaboration avec Jeff Gauthier
Le mâle suivi durant
11 jours par les
caméras des auteurs.
Il me fait grandement plaisir de vous retrouver chers lecteurs avec la suite de notre article en lien avec les deux périodes de grande vulnérabilité chez les orignaux parue dans l’édition d’août 2022 (voir article). Nous avons la chance à chaque année d’entendre de nombreux témoignages sur un retour d’activité ou bien une activité plus prononcée en début d’octobre suite à l’ouverture de la chasse qui correspond pour plusieurs à la fin septembre.
Moi et Jeff avons travaillé fort l’automne dernier pour obtenir de nouvelles scènes dans nos secteurs respectifs afin d’être en mesure de faire une suite logique à nos observations présentées l’an passé qui corroboraient « La dynamique du rut ». Après l’automne, nous avons fait l’analyse des images capturées sur nos caméras respectives. À notre grande surprise, Jeff a été en mesure de suivre un mâle précisément à un intervalle de 48 à 72 heures pendant une période de onze jours (2 au 13 octobre) jusqu’à un moment clé, l’accouplement d’une femelle le 11 octobre. Il est important de noter que les données que nous vous présentons reflètent la réalité des chasseurs du Québec, c’est-à-dire, dans un territoire public au Saguenay-Lac-Saint-Jean avec une pression de chasse de moyenne à élevée. Le relevé de nos images nous a permis de soulever plusieurs questions pertinentes mais également de corroborer certains faits biologiques. Dans cet article, avec la grande aide des orignaux devant nos caméras de détection, vous serez en mesure de faire des liens entre vos expériences personnelles, l’activité des orignaux ainsi que la biologie de l’animal.
Organisation des caméras
FAITS IMPORTANTS À RETENIR :
-Les caméras couvraient une superficie de 2,3 km2
-Il y avait au total 6 caméras qui couvraient cette superficie
-Les caméras ont été installées en fonction des probabilités de photographier ou filmer des bêtes
-Certains secteurs sont 100 % naturels et d’autres ont une présence de saline
-La distance la plus éloignée était entre la caméra #2 et #6 (2,4 km)
-La caméra #1 (point chaud) est un secteur 100 % naturel avec aucun leurre olfactif
-La caméra #3 de l’urine a été ajoutée lors la création d’une fausse souille pour provoquer une activité dans un lieu visité par les orignaux naturellement
La deuxième période de vulnérabilité
Le début de l’activité captée par ce mâle a démarré le 2 octobre à une caméra placée sur une saline directement sur un plateau de montagne (voir carrousel de photos plus bas). Précisément dans cette période, les jeunes adultes et les mâles immatures sont très actifs. Tout comme la dynamique du rut l’explique, le pic hormonal chez ces individus survient quelques jours plus tard que celui des individus matures (fin septembre chez les matures en même temps que le pic central du rut). Sachant que 88 % des femelles sont fécondées à leur première ovulation et que la majorité des fécondations de ces premières ovulations surviennent au pic central du rut à la fin septembre, la quantité de femelles fécondables dans la deuxième période de vulnérabilité sera alors beaucoup moins élevée. En résumé, les mâles seront activement à la recherche de partenaires dans un contexte où la quantité de femelles qui auront une chaleur est beaucoup moins élevée.
Il est alors logique que les mâles doivent parcourir plusieurs kilomètres entre divers secteurs stratégiques pour cibler de nouvelles partenaires. D’ailleurs, nous pouvons corroborer cette activité marquée avec les précédents automnes, entre autres la saison passée où plusieurs chasseurs mentionnaient un retour d’activité en forêt à partir du début octobre. Ça correspond également à la période où de nombreux chasseurs ont des photos de nouveaux mâles à leurs caméras. En bref, les jeunes adultes ainsi que les individus immatures participent à leur tour à la danse des amours mais plus tardivement que les grands mâles. D’ailleurs, cette activité prononcée chez les plus jeunes individus survient simultanément à la reprise alimentaire progressive des grands mâles, ils sont beaucoup moins présent que dans la deuxième moitié de septembre, ce qui laisse donc plus de places à la «jeunesse». La mi-octobre communément appelée le « deuxième call » par les plus vieux chasseurs correspond en fait à un rebondissement des premières ovulations vaines survenues plus hâtivement en septembre avant le pic central du rut (24 jours plus tard).
Les déplacements du mâle
Il est fort intéressant de constater à quel point ce jeune adulte était actif. Vous pourrez visualiser sur l’image satellite ci-contre les différentes dates où le mâle a circulé. Nous avons la certitude que ce mâle a couvert minimalement une superficie de 2,3 km2, mais il est très réaliste d’imaginer que ce mâle couvrait une superficie supérieure à celle couverte par les caméras. Afin de faciliter les explications pour la suite, vous pourrez visualiser sur l’image suivante les dates correspondant à la visite de l’emplacement. Dans le contexte de l’article, je nommerai ce mâle « L’aventurier ». Le 2 octobre est le premier moment où ce jeune adulte a été photographié à la caméra 4 (voir carrousel de photos plus bas) . Il faut comprendre que dans cette période ces mâles sont dans leur pic hormonale, Aventurier était définitivement à la recherche de femelles. Il a été détecté par la suite plus au sud-est de la zone en déplacement.
Il est fort intéressant de constater à quel point ce jeune adulte était actif. Vous pourrez visualiser sur l’image satellite ci-dessous les différentes dates où le mâle a circulé. Nous avons la certitude que ce mâle a couvert minimalement une superficie de 2,3 km2, mais il est très réaliste d’imaginer que ce mâle couvrait une superficie supérieure à celle couverte par les caméras. Afin de faciliter les explications pour la suite, vous pourrez visualiser sur l’image suivante les dates correspondant à la visite de l’emplacement. Dans le contexte de l’article, je nommerai ce mâle « L’aventurier ». Le 2 octobre est le premier moment où ce jeune adulte a été photographié à la caméra 4 (voir carrousel de photos plus bas) . Il faut comprendre que dans cette période ces mâles sont dans leur pic hormonale, Aventurier était définitivement à la recherche de femelles. Il a été détecté par la suite plus au sud-est de la zone en déplacement.
Le premier moment intéressant est à partir du 6 octobre (voir vidéo 1). Il accompagnait une femelle seule, cette femelle semble être dans une phase d’œstrus mais n’est définitivement pas dans sa phase réceptive par ses vocalises. La vidéo suivante est fascinante. On peut très bien voir la femelle tolérer la présence du mâle, toutefois, dès qu’il tente de s’approcher la tête, elle lance un cri. Finalement, le mâle se retourne et part. Plus tard au matin, nous le posons à la caméra 1 seul pour revenir en soirée à la caméra 3 avec une nouvelle femelle accompagnée d’un veau (voir photos en ordre chronologique plus bas). L’analyse des scènes nous permet d’émettre l’hypothèse que cette femelle à ce moment n’était pas intéressée par le mâle.
Vidéo 1 : journée du 6 octobre durant laquelle le mâle suit une femelle qui refuse ses avances.
Il a par la suite parcouru plusieurs secteurs jusqu’au 11 octobre (vous référer à l’image satellite des déplacements du mâle) où nous le posons à 2h30 du matin seul à la caméra 2 (voir photos en ordre chronologique plus bas). Plus tard en soirée, nous captons des images de lui à la caméra 1 avec une femelle accompagnée d’un veau (voir vidéo 2). C’est alors à ce moment que l’Aventurier fécondera cette femelle qui est très fort probablement dans sa deuxième ovulation. Je vous invite à porter attention et à bien analyser la différence d’une femelle dans sa phase réceptive versus les deux femelles précédentes qui étaient beaucoup plus vocales. Cette femelle se laisse courtiser sans aucune protestation. Portez attention dans les scènes qui suivront, nous pouvons entendre 3 petits « Inh » d’une demi-seconde que nous supposons provenir de la femelle, une tonalité très semblable à une abeille. Cette scène a duré plus d’une vingtaine de minutes devant les caméras. Finalement, L’Aventurier a passé une dernière fois seul le 13 octobre à la caméra 1 (voir photos en ordre chronologique ci-dessous).
Photos en ordre chronologique illustrant la plupart des endroits (caméras) et les dates où L’Aventurier a été photographié dans le territoire couvert par les caméras.
Vidéo 2 : journée du 11 octobre durant laquelle le mâle surnommé L’Aventurier accouple une femelle accompagnée d’un veau.
En tant que chasseur...
L’histoire de notre mâle Aventurier est en fait l’histoire de nombreux mâles orignaux du Québec. Son parcours est un exemple concret qui corrobore les observations de nombreux nemrods. Selon moi, en tant que chasseur, il est important de bien comprendre les périodes de vulnérabilité pour maximiser nos chances d’interagir avec un individu. Toutefois, la chasse ce n’est pas juste de la science et des statistiques, il y aura toujours le facteur bonne place au bon moment. À la lumière de nos récentes observations, je vous propose ici quelques constatations que moi et Jeff croyons bénéfiques.
Depuis quelques années plusieurs chasseurs parlent du pic du rut au début octobre, les chasseurs expliquent ce phénomène entre autres par une grande activité des bêtes en forêt et d’une meilleure réceptivité des orignaux. Le pic central du rut n’a pas changé de date en 10 ans, toutefois, nous expliquons cette activité marquée par le nombre de femelles fécondables en décroissances qui survient simultanément au pic hormonal des jeunes mâles. Précisément dans cette période, il est selon nous préférable de privilégier les vocalises de femelles pour maximiser nos probabilités d’interaction.
Plusieurs chasseurs font part de l’apparition de nouveaux mâles dans leur secteur ou bien de mâles satellites. Comme il est démontré dans cet article, les mâles sont très actifs dans cette période. Nous pouvons le voir tant positivement que négativement en tant que chasseur. En fait, le mâle photographié à une caméra au matin le 5 octobre peut être facilement à plus de 2 km le même soir à la recherche de femelles. Toutefois, cette théorie peut s’appliquer inversement, un mâle en matinée à 1 km de votre secteur peut être en réalité dans votre territoire quelques heures plus tard. On peut aussi présumer que moins il y a de femelles dans un secteur donné, plus les mâles auront à couvrir du terrain pour trouver les dernières femelles réceptives et plus il y a de femelles moins les mâles auront à élargir le territoire qu’ils couvriront pour trouver l’âme sœur
Depuis quelques automnes, les semaines du mois de septembre sont souvent beaucoup plus chaudes que celles du mois d’octobre. Maintenant, nous pouvons combiner l’activité générée par la deuxième période de vulnérabilité avec une température plus fraîche en octobre (souvent des matins de gelée), nous avons toutes les conditions gagnantes pour percevoir une plus grande activité des bêtes sur le terrain.
À la lumière de nos observations terrain des dernières années et à la lecture des différentes études réalisées par de nombreux biologistes, nous avons été en mesure d’en tirer une conclusion. Les probabilités d’entrer en interaction avec un mâle tout âge confondu sont à leur meilleur dès la fin septembre/début octobre. En fait, les individus matures sont plus vulnérables plus hâtivement en septembre, c’est-à-dire, avant le pic central du rut tandis que les jeunes mâles seront beaucoup plus vulnérables vers la fin septembre/début octobre. Évidemment, cette affirmation fait un lien entre la vulnérabilité des différentes classes sociale et les probabilités d’interactions, mais ce n’est aucunement une science exacte.
En conclusion
Cet article est le fruit de nombreuses heures d’analyses, d’observations, de lectures mais surtout de temps sur le terrain. Je tiens à rappeler que ces images proviennent d’un territoire qui reflète la réalité des chasseurs québécois, c’est-à-dire en densité d’orignaux moyenne en territoire public avec une pression de chasse de moyenne à élevée.
Je tiens à préciser que Jeff et moi présentons nos observations sans prétention. D’ailleurs, nous espérons que l’histoire de L’Aventurier vous a permis de mieux comprendre l’activité très perceptible en forêt dans la deuxième période de vulnérabilité. J’en profite pour remercier notre mâle ainsi que ses différentes partenaires de nous avoir permis de réaliser cet article.
En terminant, je vous invite à tirer vos propres conclusions et de bien vouloir nous en faire part si vous le désirez, la discussion reste ouverte. padesbois@outlook.com ou bien sur Facebook @PA des bois, ma passion.
Références:
-La dynamique du rut par Jocelyn Noël-2013
-Charles C. Schwartz-1992, Ecology and Management of the North American Moose