DINDONSAUVAGE
Une technique très peu utilisée mais combien efficace

Par
Denis Lapointe
CAROLINE BOLDUC
L’auteur utilise des caméras de surveillance en mode photos à intervalles pour espionner les dindons et découvrir leurs routines.
DINDONSAUVAGE
Une technique très peu utilisée mais combien efficace

CAROLINE BOLDUC
L’auteur utilise des caméras de surveillance en mode photos à intervalles pour espionner les dindons et découvrir leurs routines.

Par
Denis Lapointe
Il y a plusieurs façons de récolter un dindon sauvage! Par contre, c’est souvent la même technique qui est utilisée année après année par la majorité des chasseurs. La façon traditionnelle de faire est de prospecter en fin de journée, la veille de la chasse, soit en effectuant une prospection visuelle sur nos territoires, ou en y allant d’appels pour inciter des dindons à répondre et du même coup, à dévoiler leur présence. Grâce à ces techniques de prospection, on peut localiser l’endroit où les dindons sont perchés, ou sur le point de le faire. Ainsi le lendemain matin, à la noirceur, on s’en approche le plus possible sans être vu ou entendu, selon la configuration du terrain ou la densité de la forêt. Par la suite, on s’installe à l’affût, parfaitement dissimulé jusqu’au lever du jour. Alors que les dindons sont toujours perchés, on exécute quelques yelps très doux afin de leur faire savoir qu’une belle femelle les courtise. Une fois les dindons au sol, on imite quelques yelps plus ou moins agressifs selon la réceptivité des dindons pour les attirer vers nous. Assez souvent, cette technique fonctionne bien, mais dans d’autres cas, elle échoue pour diverses raisons. C’est parfois qu’un dindon vous a vu ou entendu lors de votre arrivée. Ou encore, les mâles sont accompagnés de plusieurs femelles, dont certaines très convaincantes, qui les entraînent bien loin de cette fameuse femelle (vous), qui n’était pas dans les parages la veille, ni d’ailleurs la semaine précédente. Peut-être aussi que les sons que vous avez exécutés avec vos appeaux n’étaient pas parfaits, ni assez convaincants à leurs oreilles. En fin de compte, plusieurs raisons peuvent expliquer la non-réceptivité de ces dindons.
Comment arriver à un résultat plus régulier
C’est au fil de mes 23 années de chasse au dindon sauvage, que ce soit dans l’État de Pennsylvanie et de New York, ou encore dans les provinces de l’Ontario et du Québec, que j’ai remarqué que certains groupes de dindons bien spécifiques étaient plus difficiles ou pratiquement impossibles à récolter avec la technique conventionnelle décrite en début d’article. S’agit-il de groupes de dindons qui ont été surchassés et qui ont reçu quelques plombs dans les ailes? Je ne sais pas! Une chose est sûre, ils sont plus méfiants ou peut-être plus rusés. Peu importe, j’ai été confronté à ce type de dindons méfiants ou rusés à plusieurs reprises et dans plusieurs endroits différents au cours de mes années de chasse. Autant il était facile année après année de récolter des dindons sur une terre ou un territoire X, que dans un autre secteur, c’était pratiquement impossible! Ils réussissaient toujours à se faufiler.
Connaître leur routine
C’est un fait peu connu, mais le dindon sauvage est assurément l’animal le plus routinier que nous chassons. J’ai eu la chance de découvrir ce phénomène assez rapidement lors de mes premières années de chasse. Il y a plusieurs années en Ontario, je suis arrêté demander la permission à un agriculteur pour chasser sur ses terres. Il me dit « si tu veux tuer un dindon, c’est très facile… Tu vois la digue de roches avec la grosse épinette derrière l’étable…? » Je lui répondis par l’affirmative. Il m’expliqua que les dindons passaient près de cette grosse épinette tous les matins depuis trois semaines à 7h10. Il me dit : « c’est pas 7h00, ni 7h20… mais c’est exactement à 7h10 qu’ils passent! » Il ne me restait plus qu’à me faire un affût impeccable pour récolter un magnifique mâle le lendemain matin à 7h10 pile!
Les dindons sauvages sont tellement des animaux routiniers qu’il faut exploiter au maximum cette coutume qui devient une de leurs plus grandes faiblesses. Ils se perchent soir après soir, dans 95 % des cas, dans le même coin de champ, et je dirais même parfois, dans le même arbre! Au lever du jour, ils descendent toujours du même côté et partent dans la même direction. Avec une régularité presque parfaite, ils iront passer à des endroits précis (et prévisibles) où il vous sera possible d’ériger un site d’affût. Parfois, ils se dirigeront entre deux digues de roches, tout en passant sur le ponceau du fossé, au milieu du champ. Ou encore, après avoir picoré au champ, ils entreront en forêt sous le même gros pin, jour après jour. Ou encore, ils longeront et occuperont un côté spécifique du champ avant de se disperser.

CHRISTIAN DE BEAUMONT
Dans 95 % du temps, les dindons sont très routiniers et se perchent dans le même secteur, et bien souvent, dans les mêmes arbres, soir après soir.
Avec les technologies dont on dispose, il est assez facile de découvrir où circulent les dindons et d’exploiter leur côté routinier. Il suffit de placer quelques caméras de surveillance à des endroits propices de manière à épier la plus grande superficie possible du champ en bordure duquel ils se perchent. Les caméras de surveillance avec fonction en continu (plot watcher) sont de mise pour cette surveillance. À titre d’exemple, en positionnant une caméra dans le coin d’un champ, orientée de manière à bien voir tout le champ, vous pourrez assez facilement documenter les déplacements des dindons. Pour ceux qui ne s’y connaissent pas parfaitement en caméras, la fonction en continu permet d’ajuster la caméra pour qu’elle prenne des photos à des intervalles réguliers, par exemple aux minutes, aux deux minutes ou aux cinq minutes, sans arrêt, et sans qu’il y ait du mouvement devant cette dernière. Lorsqu’on utilise une caméra ayant cette fonction, il est à noter qu’on peut la configurer pour capturer des images uniquement durant le jour – une fonction fort utile puisqu’un fonctionnement de nuit ne nous serait d’aucune utilité et viderait les piles rapidement. Attention, il est important que votre appareil produise des fichiers à haute résolution, car lors de l’analyse de vos images, vous devrez assurément agrandir les photos pour bien voir les détails. Gardez à l’esprit que le ou les dindons pourront très bien se trouver à 200 mètres de la caméra, dans le champ, et même plus. Il faut être en mesure de les identifier sur les photos! Aussi, assurez-vous de pointer votre caméra dans un angle approprié, en tenant compte du relief du terrain, afin de bien voir les dindons à la grandeur du champ! Après cinq ou six jours d’espionnage, vous aurez déjà une bonne petite idée de leur routine. Quelques jours supplémentaires viendront consolider votre analyse.

MARK RAYCROFT
Connaître la routine des dindons de votre secteur est souvent la meilleure façon de déjouer les vieux mâles méfiants.
Ici, je vous mets en garde face à une situation qui pourrait vous jouer des tours. L’hiver, il se produit un phénomène où les dindons de même sexe se réunissent en un même grand groupe. Il n’est pas rare dans les régions où le dindon est abondant de voir 50, 75, 100 femelles ensemble, et même plus! Pareillement pour les mâles. Ce regroupement des dindons de même sexe se produit vers la mi-décembre et se termine quelque part à la fin mars, début avril. Lorsque le printemps arrive, ces gros groupes de femelles et de mâles se divisent en de plus petits groupes mixtes, de plus ou moins 5 à 25 individus, en vue de la période d’accouplement. Donc, étant donné que ces plus petits groupes se forment de deux à cinq semaines avant l’ouverture de la chasse, il est inutile d’installer nos caméras de surveillance trop longtemps avant l’ouverture. La date de la formation de ces petits groupes peut varier d’une année à l’autre, selon la région où vous chassez. La date variera également si le printemps est hâtif ou tardif. Installer des caméras deux semaines avant l’ouverture de la chasse me semble amplement pour découvrir tous les déplacements des dindons présents sur ma terre. Un autre moyen de découvrir les déplacements de nos dindons est de les observer le matin, 2-3 jours avant l’ouverture à l’aide de jumelles ou d’une lunette d’approche. Bien que ce ne soit pas tout le monde qui soit retraité ou qui ait du temps amplement pour faire cela, il n’en demeure pas moins que cette méthode permet d’avoir suffisamment d’information pour savoir exactement où s’installer à l’ouverture de la chasse.
Une fois toutes nos données de déplacement de nos dindons analysées, il suffit de se fabriquer un ou des sites d’affût au(x) endroit(s) stratégique(s). Priorisez les emplacements qui vous permettront de vous rendre à votre poste d’affût sans être vu ou entendu. Je veux aussi vous faire remarquer qu’il est courant qu’un petit groupe de dindons ait un dortoir principal et un dortoir secondaire. Alors qu’on les repère régulièrement perchés dans leur dortoir principal, il arrive à l’occasion qu’ils passent la nuit dans un autre secteur. À force d’étudier leurs habitudes, on en vient qu’à faire ce constat. On peut donc préparer des sites d’affût près du dortoir secondaire aussi pour avoir des options dans ce secteur en cas de besoin. Une vérification s’impose en fin de journée, au coucher du soleil, pour savoir où se perchent les dindons afin d’adapter notre stratégie en conséquence. Personnellement, même avec 23 ans d’expérience, je ne rate aucune soirée de prospection!
Pour la fabrication de mon site d’affût, je privilégie l’utilisation de matériel naturel déjà sur place pour bien me confondre au paysage environnant. Du foin long, des branches, des perches de clôture, des roches, des troncs d’arbre, tout peut être utilisé pourvu que vous passiez inaperçu. Soyez sûr que votre affût vous dissimule parfaitement pour ne pas être vu par les dindons. Je privilégie cette façon de faire à l’utilisation d’une tente, car n’oubliez pas que vous avez affaire à des dindons récalcitrants et rusés qui éviteront assurément votre tente nouvellement arrivée dans le décor. Encore une fois, grâce aux données recueillies par mes caméras, je profite des moments où les dindons ne sont plus dans le secteur pour aller construire mes postes d’affût le plus discrètement possible, quelques jours avant l’ouverture de la chasse.
Si à l’analyse de vos photos de caméras vous avez remarqué que vos dindons peuvent parfois prendre une autre trajectoire que celle habituelle, vous pouvez vous jumeler avec des amis chasseurs pour être certains de les intercepter. Sur l’une de mes terres où les dindons sont extrêmement méfiants et très nombreux, nous nous sommes déjà positionnés à cinq chasseurs sur la même terre de 100 acres, en appliquant la présente technique (qui consiste à faire le mort!) et après deux heures de chasse, nous avons récolté trois beaux mâles sans émettre le moindre son.

DENIS LAPOINTE
Voici trois dindons récoltés au cours des deux premières heures de la journée, tel que raconté dans cet article.
Cette technique nécessitera un peu plus d’ouvrage avant le début de la chasse. Par contre, elle sera une corde de plus à votre arc et vous apportera des résultats plus réguliers au fil des années si vous faites bien vos devoirs. Le matin de l’ouverture, que vous ayez fait une fausse note en callant ou que les mâles soient accompagnés de femelles dominantes qui auront tôt fait de les attirer à l’opposé de vos sons, avec la technique que je vous propose, aucune de ces déceptions n’arrivera. De plus, si le soir avant l’ouverture de la chasse, les prévisions météorologiques vous annoncent des vents de 30 km/h avec des rafales de 55 km/h qui rendront vos appels presque inaudibles, avec cette technique aucun problème! Rien ne change, vous êtes toujours en affaires et en bonne position pour récolter votre dindon. Enfin, bien que je n’aie pas encore chassé le dindon durant la saison automnale, cette technique doit certainement s’avérer efficace puisqu’à ce temps de l’année, les appels n’ont fort probablement pas le même attrait qu’au printemps!
Il s’agit bien sûr d’une technique passive. Au lieu de jouer offensif, on mise plutôt sur une approche défensive! Bien honnêtement, je ne chasserais vraiment pas 100 % du temps avec cette technique. J’ai trop besoin de bouger et de faire ma chance. Toutefois, il s’agit d’une approche complémentaire à la technique conventionnelle, soit de chasser à l’appel. Et sur certaines terres ou dans certaines situations, elle peut s’avérer une alternative payante.
CAROLINE BOLDUC
Sur l’une de ses terres en Ontario, les dindons fuyaient carrément les appels de l’auteur, la majorité du temps. Il en est venu à développer la technique décrite dans cet article, et il a commencé à y récolter des dindons avec ses amis chasseurs, année après année. La dynamique y est différente, alors ils se sont adaptés.
À L’OUVERTURE DE LA CHASSE
Bien avant les premières lueurs du jour, au moment de regagner notre affût, il est impératif de se rendre à notre poste à la noirceur, sans lumière. Bien qu’il fasse noir, après un certain temps nos yeux s’habituent à l’obscurité et on voit quand même suffisamment pour se déplacer. Progressez lentement, sans faire de bruit et surtout sans lumière, car les dindons auraient tôt fait de vous localiser, ce qui anéantirait vos chances de succès. Entrez dans votre affût en douceur. Il ne vous reste plus qu’à être patient, très patient, sans bouger. Afin de ne pas gigoter, assurez-vous d’être confortablement assis, sur un bon siège droit et bien rembourré. Et sans faire aucun appel, très important, il vous reste seulement qu’à être zen en écoutant les chants des dindons. Soyez patient, je le répète, sans bouger. Savourez le moment présent, en regardant les dindons progresser lentement vers vous, avant que votre gerbe de billes vienne frapper de plein fouet un magnifique mâle qui aura sûrement fait monter votre adrénaline de quelques crans!
À l’ouverture de la chasse
Bien avant les premières lueurs du jour, au moment de regagner votre affût, il est impératif de se rendre à notre poste à la noirceur, sans lumière. Bien qu’il fasse noir, après un certain temps nos yeux s’habituent à l’obscurité et on voit quand même suffisamment pour se déplacer. Progressez lentement, sans faire de bruit et surtout sans lumière, car les dindons auraient tôt fait de vous localiser, ce qui anéantirait vos chances de succès. Entrez dans votre affût en douceur. Il ne vous reste plus qu’à être patient, très patient, sans bouger. Afin de ne pas gigoter, assurez-vous d’être confortablement assis, sur un bon siège droit et bien rembourré. Et sans faire aucun appel, très important, il vous reste seulement qu’à être zen en écoutant les chants des dindons. Soyez patient, je le répète, sans bouger. Savourez le moment présent, en regardant les dindons progresser lentement vers vous, avant que votre gerbe de billes vienne frapper de plein fouet un magnifique mâle qui aura sûrement fait monter votre adrénaline de quelques crans!